Actualités des recherches archéologiques suisses en Grèce 2024
Sous le soleil de juillet, les derniers coups de pioche et de truelle annoncent la suspension provisoire des activités de fouille dans l’Artémision d’Amarynthos après treize campagnes continues (2012–2024). Les outils de chantier cèdent la place aux scalpels, q-tips et claviers d’ordinateurs, tandis que les fouilleurs se cloîtrent en bibliothèque et au musée. C’est le travail de l’ombre de l’archéologie qui commence, avec l’analyse des découvertes et leur publication. Une journée de fouille nécessite au moins 20 jours d’étude! Faites le calcul, le «temps archéologique» est très long… Il nécessite un cadre, un suivi et un soutien financier constant pour restaurer, exploiter et mettre en valeur chaque élément de l’enquête. Le secteur du temple à lui seul nécessite la collaboration de plusieurs dizaines de chercheuses et chercheurs du monde entier. Avec les années, l’ESAG a mis en place un dispositif robuste qui doit permettre à nos équipes de publier les premiers vestiges de l’Artémision dans un horizon que nous espérons proche. Le processus de publication est bien engagé, puisque cette fin d’année 2024 voit la publication du premier volume de la nouvelle série AMARYNTHOS. L’honneur en revient tout naturellement à Denis Knoepfler, qui publie un décret relatif au sanctuaire et aux institutions de la cité et qui livre ici une leçon magistrale sur l’histoire complexe de l’Eubée à l’époque des Diadoques (323–278 av. J.-C.).
Même si les projecteurs de l’actualité ont été braqués ces dernières années sur les fouilles d’Amarynthos, les enquêtes au long cours se sont poursuivies à Érétrie également. On en trouvera un aperçu à la fin de ce numéro, avec le portrait croisé de trois chercheuses. D’autres études sont en cours, en particulier sur la céramique préhistorique (Sylvie Müller), classique (Claudia Gamma) et romaine (Simone Zurbriggen), mais c’est avant tout la céramique archaïque d’Érétrie qui est à l’honneur avec la publication de la thèse de Tamara Saggini dans la collection ERETRIA, tome XXVI. Son ouvrage offre un riche panorama de la céramique du 6e et du début du 5e siècle av. J.-C. et apporte un éclairage original sur un épisode charnière dans le destin d’Érétrie, qui voit la prise de la cité par les troupes perses lors des Guerres médiques.
En parallèle, la mission de formation et de recherche de l’ESAG continue. Cette année, de nombreux stages pratiques ont ainsi permis aux étudiant·e·s suisses de parfaire leur apprentissage dans les domaines de la céramique, du petit mobilier et de l’architecture. Sur le terrain, d’autres projets d’envergure se sont déroulés sous l’égide de l’ESAG tant en Eubée qu’ailleurs en Égée: la prospection entre Érétrie et Amarynthos se poursuit et les fouilles du mont Hellanion Oros à Égine ont livré cette année encore des informations captivantes sur l’occupation de l’île à l’Âge du Bronze et au début de l’Âge du Fer. À Anticythère, les fouilles sous-marines n’en finissent pas de remonter à la surface des éléments de la fameuse épave et de sa cargaison. 2024 marque également la reprise d’activités dans le terrain à Érétrie, avec un projet triennal de relevés et d’étude des vestiges du port; grâce à une collaboration avec l’Éphorie des Antiquités sous-marines et la Fondation Octopus, des plongeurs ont nettoyé et documenté des sections des installations portuaires antiques et de fortifications qui les défendaient.
L’archéologie fait également des avancées scientifiques loin du terrain, en laboratoire et en blouses blanches: le projet d’ADN ancien mené en collaboration avec la Faculté de Biologie de l’Université de Lausanne a donné des premiers résultats remarquables sur l’identité des populations anciennes d’Érétrie, de l’Âge du Bronze à l’époque romaine tardive. L’apport des sciences de la vie et de la terre permet ainsi aux archéologues de poser de nouvelles questions et d’élaborer un discours mieux fondé et plus complet sur le passé.
1964–2024
L’année 2024 marque le soixantième anniversaire du début des fouilles suisses à Érétrie. C’est l’occasion de rappeler le caractère visionnaire et précurseur du rôle joué par nos prédécesseurs, Karl Schefold et Lily Kahil du côté suisse, Ioannis Papadimitriou et Vasilis Petrakos du côté grec. Sans leur action combinée, l’archéologie suisse en Grèce ne serait pas ce qu’elle est à l’heure actuelle.
Au chapitre des jubilés, 2025 sera l’occasion de célébrer les 50 ans de l’École suisse d’archéologie en Grèce, seule mission archéologique suisse permanente hors des frontières nationales, sans laquelle, faut-il le rappeler, il serait impossible de conduire des fouilles et des activités de recherche suisses ambitieuses en Grèce.
L'Artémision d’Amarynthos (Eubée), fouilles et prospections
La fouille d’été 2024 dans l’Artémision est la dernière campagne dans la zone du temple avant que les recherches n’entrent dans une nouvelle phase d’étude et de publication. Parmi les découvertes, citons le fait que le temple de la fin du 8e siècle avant J.-C. disposait d’un porche arrondi en façade. Sous ses fondations, deux bâtiments plus anciens datant de l’époque mycénienne ont été mis au jour. La fouille de Paleoekklisies a atteint le sol naturel de la colline sous 3 m de sédiments et a livré une grande quantité de céramique datée du début de l’Helladique ancien I, vers 3000 av.
Le projet Eretria-Amarynthos Survey étudie l’évolution de l’occupation humaine dans la plaine d’Érétrie depuis l’Âge du Bronze jusqu’à l’époque byzantine. Une attention particulière est accordée au sanctuaire d’Artémis et à son influence dans l’organisation spatiale de la région. Dans le cadre de la quatrième campagne, les rives du Sarandapotamos ont été étudiées afin d’assurer la continuité avec les recherches précédentes. Malgré le faible nombre de découvertes archéologiques dans le delta, des concentrations importantes ont été identifiées dans des zones plus élevées. Des vestiges datant de l’Antiquité et de l’époque byzantine ont été découverts à Gymnou, attestant l’existence d’un site d’importance.
Projet Artemision - AmarynthosFouille au sommet de l'Hellanion Oros (Égine)
Le programme quinquennal de recherches sur le mont Hellanion Oros sur l’île d’Égine comporte deux volets: la fouille du sommet et la prospection archéologique de l’extrémité méridionale de l’île, autour de l’Hellanion Oros. Lors de cette quatrième campagne, les travaux de l’équipe gréco-suisse se sont concentrés sur les vestiges du village fortifié datant de la fin de l’époque mycénienne. Plusieurs constructions ont livré de nombreux récipients de stockage et de cuisson, ainsi qu’une tombe. La prospection a révélé deux sites inédits dont l’un de la fin du 4e – début du 3e millénaire av. J.‑C. et l’autre des époques mycénienne et historique, ainsi qu’une carrière de pierre volcanique.
Recherches sous-marines à Anticythère
L’équipe d’archéologues et de plongeurs suisses et grecs a achevé en mai-juin la quatrième campagne de recherches subaquatiques sur le site de l’épave d’Anticythère. Les travaux s’inscrivent dans le cadre d’un programme de recherche quinquennal (2021-2025) de l’École suisse d’archéologie en Grèce, dirigé par l’Université de Genève (UNIGE). Les fouilles systématiques sous-marines, qui ont de nouveau profité de techniques de pointe, comme des drones subaquatiques et de la photogrammétrie, ainsi que de l’installation d’un laboratoire scientifique sur l’île d’Anticythère, ont mené à la découverte d’une partie de la coque de l’épave sur le site A. Les premières études du site B ont également révélé des indices de restes de bateaux sous le fond marin. La relation entre les deux zones, distantes de 200m, devra encore être clarifiée.
Projet AnticythèreRelevés des structures portuaires d’Érétrie
L’exploration des structures sous-marines du port d’Érétrie a débuté en 2024 avec une première campagne de nettoyage et de relevés. Les fortifications maritimes ont été nettoyées et leur plan complété tandis que les structures du port ont pu être topographiées pour la première fois. Plusieurs zones de blocs éparpillés et quelques structures doivent encore être clarifiées. Parallèlement, un levé bathymétrique a permis d’identifier des zones intéressantes et de repositionner les structures après une estimation de la ligne côtière antique.
La place manquerait ici s’il fallait remercier toutes les institutions et personnes qui ont soutenu les activités de l’École. Il convient de mentionner tout particulièrement le Ministère hellénique de la Culture, la Confédération suisse (SEFRI), le Fonds national suisse de la recherche scientifique, la Fondation pour l’Université de Lausanne, le Canton de Vaud, la Fondation Evangelos Pistiolis, la Fondation Stavros Niarchos, la Fondation KIKPE et la Fondation philanthropique Famille Sandoz. Nous sommes également très reconnaissants à nos partenaires grec·que·s pour les fructueuses collaborations liées sur le terrain et au musée, en particulier Angeliki G. Simosi, Stella Chryssoulaki et Eleni Sp. Banou.
Remerciements
–Ministère grec de la Culture, Lina Mendoni
–Direction des Antiquités du Ministère grec de la Culture, Olympia Vikatou (Dir.)
–Département des Écoles étrangères, Konstantina Benissi (Dir.), Sophia Spyropoulou
–Éphorie des Antiquités d’Eubée, Dimitrios Christodoulou (Dir.), Olga Kyriazi, Fani Stavroulaki, Stavroula Parissi
–Éphorie des Antiquités du Pirée et des Îles, Andreas Darlas (Dir.)
–Ambassade de Suisse en Grèce, S. E. Stefan Estermann
–Ambassade de Grèce en Suisse, S. E. Ekaterini Simopoulou
–Mairie d’Érétrie, Nikos Gournis
–Préfecture de Grèce centrale, district régional d’Eubée, regionale Einheit Euböa, Giorgios Kelaïditis
–Amarynthos, association culturelle, Leonardos Bilalis
–Association de Gerani, Kostas Frangoulopoulos
–Université de Lausanne, direction, décanat de la Faculté des lettres, Juanita Béguin, Dominique Thierrin, Antonio Santangel, Dilek Güngör, Coralie Grossrieder, Patrizia Ponti, Antoinette Nadal
Donateurs et mécènes
–Fonds national suisse de la recherche scientifique
–Département fédéral de l’économie, de la formation et de la recherche
–Secrétariat d’État à la formation, à la recherche et à l’innovation
–Université de Lausanne et autres universités de Suisse
–Fondation philanthropique Famille Sandoz, Fondation Stavros S. Niarchos, Fondation Evangelos Pistiolis, Fonds d’utilité publique du Canton de Vaud, Fondation pour l’Université de Lausanne, Fondation KIKPE, Ceramica-Stiftung, Société Académique Vaudoise, Fondation Pittet, Fondation Théodore Lagonico, Fondation Afenduli