Actualités des recherches archéologiques suisses en Grèce 2023
Comme dans tout générique de film, les dernières images du documentaire Artémis, le temple perdu défilent en énumérant les actrices et acteurs de cette grande aventure collective que fut la découverte du sanctuaire d’Amarynthos. Avec la diffusion de ce film-documentaire sur la RTS et Arte, en attendant la traduction prochaine en italien et en grec moderne, c’est une importante page de l’histoire de la recherche qui se tourne. Si cette découverte peut aujourd’hui apparaître comme une évidence, elle n’était encore qu’un lointain horizon au début des années 2000.
L’ESAG inaugure aujourd’hui un nouveau chapitre de l’histoire, celui de l’étude, de la publication et de la mise en valeur des vestiges en vue de leur présentation au public. Parfois ingrat, le plus souvent méconnu du grand public, ce travail d’analyse et de restauration fait rarement l’objet de documentaires. Mais il est capital et nécessite des fonds, des moyens et des forces. En prenant du recul, on perçoit que la mission de l’ESAG à Amarynthos ne fait que débuter, avec une assise scientifique, logistique et patrimoniale renouvelée. Les défis sont de taille. Le musée d’Érétrie, qui a atteint sa pleine capacité de stockage, doit être agrandi; un projet d’extension a été déposé auprès du Ministère de la Culture et les travaux devraient pouvoir commencer en 2024, sur un terrain gracieusement mis à disposition par la Mairie d’Érétrie. D’importants moyens financiers seront investis: comme par le passé, l’École en appelle à la générosité de mécènes privés. Par ailleurs, les quelque 700 objets du dépôt archaïque doivent être restaurés et étudiés; une équipe se consacre à cette tâche depuis deux ans déjà. L’étude du mobilier et de l’architecture des temples archaïques fera l’objet de publications scientifiques, au sein d’une nouvelle série Amarynthos, qui sera inaugurée par la monographie de Denis Knoepfler consacrée à un décret d’Érétrie pour des magistrats militaires, exposé dans l’Artémision d’Amarynthos.
Pour que ce programme puisse être mené à bien, les fouilles à large échelle dans le sanctuaire vont marquer un temps d’arrêt. Les activités de terrain à Amarynthos ne cesseront pas pour autant: des vérifications ponctuelles seront effectuées pour permettre aux équipes de compléter l’analyse des vestiges; des secteurs de la fouille seront nettoyés, remblayés et sécurisés pour faciliter les visites guidées sur le site et pour répondre à la curiosité du public, qui sera éveillée par la diffusion du documentaire. Enfin, le projet ambitieux de prospection archéologique de la vallée du Sarandapotamos, qui vise à mieux comprendre l’insertion du sanctuaire d’Artémis dans le paysage antique, sera étendu à l’ensemble de la région.
Grâce aux fouilles de cet été à Amarynthos, le dégagement des vestiges dans le secteur des temples archaïques est quasiment achevé. On y reconnaît désormais l’existence d’un édifice mesurant cent pieds de long (hekatompedon). L’ensemble des découvertes font de l’Artémision un site incontournable pour étudier le développement de l’architecture religieuse et des cultes en Grèce. Hors de l’Eubée, l’ESAG a contribué à la campagne de fouilles sous-marines à Anticythère, sur l’épave la plus connue de l’Antiquité, qui continue de fasciner le grand public, tant au Musée national d’Athènes que dans la presse internationale. Sur l’île d’Égine, les fouilles et prospections sur le Mt Oros, conduites en collaboration avec l’Éphorie du Pirée et des Îles, se sont poursuivies en 2023, avec des résultats remarquables.
L'Artémision d’Amarynthos (Eubée), fouilles et prospections
Les fouilles 2023 à Amarynthos ont permis de dégager le temple d’Artémis dans son entièreté. Au moins trois édifices se sont succédé à cet emplacement: le plus ancien remonte au 8e siècle av. J.-C., voire encore avant. Un hekatompedon archaïque lui succède, dont la fouille a livré plusieurs centaines d’offrandes précieuses; les espaces intérieurs abritaient également plusieurs autels. Le dernier temple, dont seules les fondations sont conservées, est édifié à la fin du 6e siècle av. J.-C.
Les sondages sur la colline de Paleoekklisies surplombant le sanctuaire ont confirmé l’existence d’un système de fortification datant du 3e millénaire avant J.-C. Une tombe datée du 17e-16e s. av. J.-C. a également été découverte, contenant plusieurs squelettes et deux petits vases.
L’exploration du sanctuaire se double d’un projet de prospection de la région comprise entre Erétrie et Amarynthos (EASP). Au terme de la troisième campagne, 21 km2 ont été prospectés de façon systématique et méthodique, mettant au jour 189 structures (toutes périodes confondues). On relèvera la densité de l’occupation à la période byzantine sur les pentes du Servouni et le long de l’ancienne route qui relie Kotroni à Gymnou. Une dizaine de fermes isolées des époques classique et hellénistique ont également été repérées. Des analyses géomorphologiques visent à mieux comprendre les dynamiques d’érosion et d’alluvionnement et leur impact sur l’habitat et les pratiques agricoles et pastorales dans l’Antiquité.
Projet Artemision - AmarynthosFouille au sommet de l'Hellanion Oros (Égine)
Le programme quinquennal de recherches sur le mont Hellanion Oros sur l’île d’Égine comporte deux volets : la fouille du sommet et la prospection archéologique de l’extrémité méridionale de l’île, autour du mont Oros. Lors de cette troisième campagne, les travaux de l’équipe gréco-suisse se sont concentrés sur la fouille d’une couche de destruction qui a livré quelque trente vases complets d’époque mycénienne. Ce sont près de quatre millénaires de fréquentation humaine qui ont été documentés au sommet de cette montagne, qui a servi de lieu de culte (sanctuaire de Zeus) et d’habitat.
Recherches sous-marines à Anticythère
L’équipe d’archéologues et de plongeurs suisses et grecs a achevé en mai-juin la troisième campagne de recherches subaquatiques sur le site de l’épave d’Anticythère. Les travaux s’inscrivent dans le cadre d’un programme de recherche quinquennal (2021-2025) de l’École suisse d’archéologie en Grèce, dirigée par l’Université de Genève. Les fouilles systématiques sous-marines ont profité de techniques de pointe comme des drones subaquatiques et de la photogrammétrie, et de l’installation d’un laboratoire scientifique de campagne sur l’île d’Anticythère; les recherches ont permis d’obtenir des nouvelles informations sur l’histoire de la formation du site et des éléments qui compèteront les connaissances actuelles concernant les passagers et la cargaison du navire
Projet AnticythèreÀ la croisée des sciences de la vie et de la terre
L’étude des vestiges du passé n’intéresse pas les seuls archéologues et historiens. Des domaines toujours plus variés et pointus des sciences de la vie et de la terre sont mis à contribution pour mettre en évidence les indices ténus de matières périssables ou invisibles à l’oeil nu ou pour reconstituer les mouvements de population et les interactions de l’homme avec son environnement au fil des millénaires. Bien plus qu’un seul apport technique, ces scientifiques offrent un regard nouveau sur l’Antiquité et nourrissent les questions et les méthodes de l’archéologie. Portraits de quelques spécialistes associé·es aux recherches en cours à Amarynthos et à Érétrie, avec le soutien de la Fondation Stavros Niarchos.
La place manquerait ici s’il fallait remercier toutes les institutions et personnes qui ont soutenu les activités de l’École. Il convient de mentionner tout particulièrement le Ministère hellénique de la Culture, la Confédération suisse (SEFRI), le Fonds national suisse de la recherche scientifique, la Fondation pour l’Université de Lausanne et la Fondation Stavros Niarchos. Il faut également témoigner notre reconnaissance aux jeunes générations qui se sont investies récemment dans les projets de l’École. En dix ans de fouilles à Amarynthos, l’ESAG aura formé plus de 250 étudiant·e·s provenant surtout de Suisse, mais également de Grèce, de France et d’ailleurs. Ce fut une expérience humaine et professionnelle unique: jamais dans son histoire l’École n’aura accueilli autant de jeunes archéologues en Grèce. Malgré le prochain temps d’arrêt des fouilles à Amarynthos, l’ESAG s’engage à organiser des stages pratiques pour offrir aux étudiant·e·s de toutes les universités suisses la possibilité de compléter leur formation: cela fait partie intégrante de la mission de l’ESAG.
Remerciements
–Ministère grec de la Culture, Lina Mendoni
–Direction des Antiquités du Ministère grec de la Culture, Polyxeni Adam-Veleni (Dir.)
–Département des Écoles étrangères, Konstantina Benissi (Dir.), Sophia Spyropoulou
–Éphorie des Antiquités d’Eubée, Dimitrios Christodoulou (Dir.), Olga Kyriazi, Fani Stavroulaki, Stavroula Parissi
–Éphorie des Antiquités du Pirée et des Îles, Angeliki Simosi (Dir.)
–Ambassade de Suisse en Grèce, S. E. Stefan Estermann
–Ambassade de Grèce en Suisse, S. E. Ekaterini Xagorari
–Mairie d’Érétrie, Ioannis Dimitropoulos
–Préfecture de Grèce centrale, district régional d’Eubée, regionale Einheit Euböa, Giorgios Kelaïditis
–Amarynthos, association culturelle, Leonardos Bilalis
–Association de Gerani, Kostas Frangoulopoulos
–Université de Lausanne, direction, décanat de la Faculté des lettres, Juanita Béguin, Dominique Thierrin, Antonio Santangel, Dilek Güngör, Coralie Grossrieder, Patrizia Ponti, Antoinette Nadal
Donateurs et mécènes
–Fonds national suisse de la recherche scientifique
–Département fédéral de l’économie, de la formation et de la recherche
–Secrétariat d’État à la formation, à la recherche et à l’innovation
–Université de Lausanne et autres universités de Suisse
–Fondation philanthropique Famille Sandoz, Fondation Stavros S. Niarchos, Fondation pour l’Université de Lausanne, Stiftung Isaac Dreyfus-Bernheim, Ceramica-Stiftung, Société Académique Vaudoise, Fondation Pittet, Fondation Théodore Lagonico, Fondation Afenduli