Fouille helvético-grecque du sanctuaire de Zeus sur l’île d’Égine
Du sommet de l’Hellanion Oros, la plus haute montagne d’Égine, le regard embrasse un panorama ininterrompu sur la mer Égée, le Péloponnèse et la côte attique. La tradition raconte qu’à cet emplacement se dressait dans l’Antiquité un temple à la gloire de Zeus. Sur les versants du mont, au XXe siècle, des recherches archéologiques allemandes ont mis au jour un grand complexe antique lié au culte du dieu des dieux, sans toutefois y localiser le temple et son autel. L’attention des scientifiques se tourne alors vers le sommet de la montagne, dominé aujourd’hui par une petite chapelle orthodoxe. La curiosité des archéologues a en effet été attirée par une figurine en argile d’époque mycénienne (v. 1400-1200 av. J.-C.) anciennement découverte à cet endroit et depuis exposé au musée du chef-lieu de l’île.
C’est pour lever le mystère sur l’emplacement du temple de Zeus Hellanion et les origines de son culte qu’une équipe d’archéologues suisses et grecs conduisent depuis 2022 des fouilles sur ce pic au centre du golfe Saronique, à un peu plus d’une heure de ferry du Pirée.
Pour les scientifiques de l’École suisse d’archéologie en Grèce (ESAG) et de l’Éphorie des antiquités du Pirée et des îles ainsi que pour les étudiant-e-s suisses, grecs et allemands qui doivent gravir chaque matin près de 500 m de dénivelé sur un chemin escarpé, le paysage qui s’offre au sommet est vertigineux, mais la fouille périlleuse, avec les sondages ouverts à flanc d’escarpement, constamment battus par les bourrasques.
Mais le jeu en valait la chandelle, car la campagne de l’automne passé a permis de mettre au jour en contrebas de la chapelle un bâtiment de l’Âge du bronze avec un riche mobilier.
L’équipe
La fouille est dirigée par Tobias Krapf, École suisse d’archéologie en Grèce (ESAG), et Stella Chryssoulaki, ancienne responsable de l’Éphorie des antiquités du Pirée et des îles et désormais directrice générale du Musée archéologique d’Héraklion. L’ESAG est la seule mission archéologique suisse ayant une présence permanente à l’étranger. C’est un centre de formation et de recherche inter-universitaire. De nombreux étudiant-e-s des universités suisses effectuent chaque année auprès d’elle des stages de fouilles et de musées, notamment sur l’île d’Eubée, où des archéologues suisses travaillent depuis les années 1960.
Un lieu de repli
Dans une pièce de 13 m2, plus de 30 poteries de la fin de l’époque mycénienne (v. 1300-1100 av. J.-C.) ont été découvertes. Certaines étaient brisées, d’autres étaient parfaitement conservées telles qu’elles avaient été déposées lors de l’effondrement du bâtiment. S’y ajoutent d’autres objets en bronze, en pierre et en argile. Ces céramiques sont en majorité des marmites ainsi que des récipients à provisions et à boire. Ce ne sont pas des objets votifs spécifiquement liés à un sanctuaire. Ils nous indiquent plutôt qu’à la fin de l’époque mycénienne, lors de l’effondrement de la culture palatiale, qui existait alors en Grèce, une partie des habitants de l’île s’est retirée au sommet de la montagne pour se mettre en sécurité. Sur le versant ouest, il est d’ailleurs encore possible de voir aujourd’hui les restes d’une fortification préhistorique. Le nouveau bâtiment pourrait faire partie de cet ensemble architectural. Cette découverte n’exclue toutefois pas l’existence d’un culte postérieur à la construction de ce bâtiment. La figurine retrouvée au sommet de la montagne en est un indice et des céramiques remontant à la première moitié du deuxième millénaire av. J.-C. ont été retrouvées. C’est sur cette piste que la suite des recherches se concentre.
Les premières traces du culte
En effet, des traces du culte de Zeus du premier millénaire av. J.-C. et des premiers siècles après J.-C. ont été retrouvées sur le sommet. Une fondation en blocs massifs à côté de la chapelle et des tuiles antiques indiquent qu’une construction plus ancienne, probablement un temple, doit se trouver sous la petite l’église.
Un peu plus bas, au-dessus des structures préhistoriques, des restes de sacrifices ont été retrouvés. Après les rituels sacrificiels sur l’autel qui se trouvait sûrement au sommet de la colline, les cendres et les os d’animaux brûlés étaient jetés au bas de la pente. Pour les archéologues, ces dépôts contenant des milliers de petits fragments d’os sont d’un grand intérêt, car ils leur permettent de reconstituer les rituels. Des lampes à huile romaines indiquent en outre que le culte pouvait se déroulait aussi la nuit.
Deux aspects de la montagne ont donc attiré les hommes et les femmes depuis l’âge du bronze: d’une part la sécurité, liée à sa situation isolée et difficile d’accès et, d’autre part, sa position dominante qui a conduit à sa consécration à Zeus.
Le culte de Zeus Hellanios
Il n’est guère surprenant que le plus haut sommet de l’île d’Égine soit justement dédié à Zeus, souverain des dieux et des cieux. Selon l’écrivain antique Pausanias, le culte a été instauré sur l’île par le fils de Zeus, Aiakos, sur recommandation de l’oracle de Delphes, alors que la Grèce était en proie à la sécheresse. De même, aux IVe et IIIe siècles avant J.-C., Théophraste a décrit dans un texte sur les phénomènes météorologiques que la présence de nombreux nuages au-dessus de la montagne de Zeus Hellanios à Égine était un signe annonciateur de pluies abondantes. Jusqu’à présent, les sanctuaires de sommet étaient surtout connus dans les recherches menées en Crète, mais différents projets, dont la campagne helvético-grec, mettent désormais en lumière des découvertes similaires en Grèce continentale et sur les petites îles environnantes.
Comprendre le territoire
Afin de comprendre comment un village préhistorique a pu fonctionner ici sans accès à l’eau douce, une prospection archéologique de la pointe sud de l’île d’Égine est désormais menée parallèlement aux fouilles. Jusqu’au milieu du XXe siècle, cette région, qui n’est aujourd’hui fréquentée que par des bergers, a été utilisée de manière intensive pour l’agriculture. Les murs de terrasses omniprésents, ainsi que les aires de battage, les villages abandonnés et les chapelles en sont les témoins. Les traces antiques, voire préhistoriques, sont aussi présente dans le paysage et plus de 3000 tessons de céramique et 150 artefacts en pierre ont été recensés lors de la dernière prospection. L’équipe du projet s’intéresse également à l’agriculture et au pâturage traditionnels afin de mieux interpréter la vie dans cette région.
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